D' Artagnan

un gascon illustre et mal connu

1610 - 1673

Qu'avait en commun le plus célèbre de nos cadets de Gascogne, d'Artagnan, avec le portrait du brillant mousquetaire de Dumas ? Avait-il quelque trait de cet autre gascon, Cyrano, si jaloux de son panache et qui chantait si bien la "verte douceur" de son pays ?

Sans doute le vrai d'Artagnan avait, comme tous les cadets gascons, goût d'aventure et soif de gloire; le récit de sa vie nous convaincra qu'il n'a rien à envier au héros littéraire.

La vérité historique

Charles de Batz, né au château de Castelmore, à Lupiac, entre 1610 et 1615, a quitté très jeune son village natal pour aller chercher à Paris gloire et fortune. C'était là, près du roi et de sa cour, que les pauvres nobliaux, écartés de l'héritage familial par la loi inique du "tout à l'ainé", avaient quelque chance de rencontrer l'une et l'autre.
Le patronyme paternel de notre cadet - de Batz - ne lui paraissant pas suffisant pour ouvrir les portes, il choisit celui de sa mère - Françoise de Montesquiou d'Artagnan - d'une notoriété plus affirmée.

Nanti de cet emprunt et sans doute de quelques recommandations, notre cadet arrive à Paris. Il n'y est pas tout à fait dépaysé : les Gascons sont partout et ont tissé un important réseau de relations. Parmi les plus célèbres on peut citer le duc de Roquelaure et Antoine de Grammont, tous deux futurs maréchaux de France, et François de Monlezun, seigneur de Besmaux, avec qui il se liera d'amitié.
Notre héros a d'abord fait partie du régiment des Gardes françaises dont le rôle consistait à veiller sur la sécurité du roi. Remarqué par le cardinal Mazarin et donc en même temps par la régente Anne d'Autriche, il deviendra "une créature" de son éminence. "Une créature" , le mot n'a rien de péjoratif, il signifie un homme en qui le ministre savait qu'il pouvait avoir une totale confiance, à qui il pouvait confier des secrets d'État, des missions délicates, des ordres confidentiels à porter aux chefs des armées.

Ces fonctions projettent déjà honneur et gloire sur d'Artagnan. C'est ainsi que, durant toute la guerre d'Espagne, il fera la navette entre l'armée et le cardinal, tel un agent de renseignement. Son rôle sera déterminant et il s'en acquittera avec beaucoup d'intelligence et de dévouement. Lorsque la fronde éclate, en 1648, d'Artagnan reste fidèle à la reine et à son ministre. Nombre de ses compagnons ont suivi les insurgés, mais lui et son ami Besmaux sont restés d'une fidèlité inébranlable. Lorsque Mazarin est contraint à l'exil, en Allemagne, ils seront, avec d'autres, les messagers qui relieront Mazarin à la France, en bravant tous les dangers. Quand le cardinal tentera son retour, on retrouvera nos deux compagnons parmi ses partisans qui complotent à Paris. Et le cardinal ne sera pas ingrat: il écrit au maréchal de Grammont pour solliciter, avec l'accord de la reine, "une lieutenance aux gardes pour d'Artagnan qui l'a bien servi".

En 1653, Mazarin rentre triomphalement à Paris. Il est accueilli par le tout jeune roi Louis XIV et notre cadet peut alors espérer un avenir très prometteur. Ses espoirs ne seront pas déçus. Après la confiance de Mazarin, d'Artagnan gagnera celle du roi, qu'il conservera toute sa vie. A travers ses différentes charges, il servira le souverain dans ses déplacements, dans son grand voyage à travers la France, dans les nombreuses guerres, dans les missions hautement délicates. Il aura ses entrées à la cour avant même de porter le titre de Comte. Il fréquentera les salons littéraires du Marais qui n'étaient accessibles qu'à l'élite de la société, il se liera d'amitié avec Le Tellier, Fouquet, Mme de Sévigné.

Son mariage

Son appartenance à cette société-là se concrétisera par son mariage, vers l'âge de quarante ans,avec une riche veuve Anne Charlotte de Chancely dont il se séparera au bout de six ans et dont il aura deux fils. Quant à sa vie amoureuse, faut-il encore s'en référer à la tirade de Cyrano de Bergerac sur les cadets de gascogne " qui font cocus tous les jaloux" ? On ne prête qu"aux riches et Courtis de Sandras, comme Dumas plus tard, donnent beaucoup d'importance à ses aventures amoureuses et à ses démêlés avec les maris trompés. Le comte d'Aligny, qui a servi sous les ordres de d'Artagnan, s'indigne du portrait qu'en font ces deux écrivains. Il considère comme un outrage de prêter des aventures vulgaires à un "homme d'une grande importance" pour lequel il avait une profonde vénération. On sait toutefois que nos fiers mousquetaires dans leurs magnifiques uniformes d'azur aux croix d'argent fleurdelisées, montant de superbes chevaux blancs suscitaient l'admiration du peuple parisien... et des jolies femmes. Même l'intrépide Grande Mademoiselle était intimidée par d'Artagnan. Et madame de Sévigné, dans ses lettres parle de lui avec une grande déférence.

Mousquetaire du roi

Quel fabuleux destin pour un cadet de Gascogne !
En récompense de sa fidèlité il détiendra de multiples charges honorifiques, par exemple celle de capitaine de la volière royale. Mais c'est à la guerre que d'Artagnan acquerra sa notoriété. Il suit Louis XIV à la guerre, combat dans l'armée de Turenne avant d'être appelé par Mazarin pour prendre la charge de sous-lieutenant de la première compagnie de Mousquetaires. Désormais il est l'homme de confiance du roi qui va lui confier deux missions aussi délicates que dangereuses:
La premièr est, l'arrestation de Fouquet, l'homme le plus puissant du royaume, qui avait de nombreux partisans. Fouquet était soupçonné de s'être enrichi au détriment des finances de l'État, et, trop riche, il faisait de l'ombre au roi. Avec Colbert, Louis XIV a tout prévu pour l'éliminer. D'Artagnan doit s'exécuter, mais il se serait bien passé de cette mission: il a du respect et même de l'amitié pour celui qu'il doit arrêter. Il s'acquittera cependant de sa délicate tâche avec intelligence et humanité à l'égard du prisonnier, car il sera aussi son geolier pendant quatre longues années au donjon de Vincennes, puis à la Bastille avant son procès. Il le conduira enfin et l'installera dans l'austère forteresse de Pignerol où il finira sa vie.
Quelques dix ans plus tard, c'est un "pays", un cadet de Gascogne comme lui, qu'il sera chargé d'escorter jusqu'à cette même forteresse: le fiancé de mademoiselle de Montpensier, le comte de Lauzun, qui a, dit-on, mérité par son insolence la disgrâce du roi.
Entre ces épisodes, d'Artagnan reprend sa vie de mousquetaire. Il s'est vu attribuer la charge suprême de lieutenant de la Compagnie, au grand dam de Colbert, et c'est sans doute à partir de cette date que d'Artagnan porte le titre de comte.
Mais notre gascon a-t-il jamais revu son château de Castelmore ? C'est très probable. Au cours du long voyage d'un an à travers la France que fit Louis XIV (et sa cour) pour aller épouser l'infante d'Espagne à Saint-Jean-de-Luz, le cortège s'arrêta à Vic-Fezensac et y passa la nuit. Si près du logis familial, d'Artagnan a bien dû chevaucher jusqu'à Lupiac pour rendre visite à son frère aîné Paul, ses parents étant déjà décédés. Peut-être a-t-il mesuré à cette occasion, l'ascension extraordinaire du petit cadet de Gascogne ? Ce petit cadet qui va partager la gloire du roi lors de son fastueux mariage. Car les Mousquetaires, revêtus de casaques neuves avaient fière allure auprès de leur souverain. Ils suscitèrent l'admiration de la population et aussi de la délégation espagnole dont l'austérité faisait ressortir la pompe royale.

Mais la gloire, d'Artagnan la trouvera surtout sur les champs de bataille. Dans un premier temps il participe à la guerre contre les Anglais, en soutien aux Provinces Unies, nos alliées. Avec ses mousquetaires, il fait preuve d'une bravoure extraordinaire et leur retour en France est triomphal.
Plus tard, il sera de toutes les guerres de Louis XIV. En 1667-1668, c'est la guerre de "dévolution": au nom de son épouse Marie-Thérèse, fille de Philippe IV, le roi prétend avoir des droits sur les provinces espagnoles. D'Artagnan participe avec le roi à la conquête de la Franche-Comté, possession espagnole et le traité d'Aix-la-Chapelle met fin à cette guerre (1668).
Quatre ans plus tard, la France déclare la guerre à la Hollande. Celle-ci sera fatale à d'Artagnan.
Mais le début des hostilités n'a pas concerné notre héros car cette même année le roi l'a désigné comme gouverneur de Lille. Ce ne sera pas la tâche la plus aisée de notre mousquetaire qui préfère être à la tête de ses troupes.
"D’Artagnan jouissait de la même autorité que les gouverneurs de province. Ces fonctions le conduisaient notamment à assurer le service de la place, à donner le mot d’ordre chaque jour, à faire des rondes pour vérifier l’exactitude du service des postes de garde, à autoriser les partis à lever les contributions, à présider le conseil de guerre qui jugeait les délits commis par les soldats et déterminait la nature des châtiments D’Artagnan avait une tâche particulièrement ardue. Il se trouvait, en effet, dans une ville où les Français n’étaient alors pas appréciés."
(Stéphane Beaumont
)

A son grand soulagement sans doute, D’Artagnan est relevé de ses fonctions de gouverneur en décembre 1672. Peu de temps après, il reprend le chemin de la guerre auprès du roi et de sa compagnie qui a bien besoin de retrouver son capitaine-lieutenant. C’est à Maastricht que se déroule les hostilités, une des places fortifiées les plus puissantes des Pays Bas. Dans ce siège, les Anglais sont alliés à la France, et sont commandés par le duc de Monmouth.
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Le siège de Maestricht

Le siège de Maestricht commença en juin 1673.
Après sept jours d'un duel d'artillerie, les Français, estimant les destructions suffisantes, décident de porter l'assaut. Les mousquetaires, avec à leur tête, d'Artagnan, s'emparent d'un ouvrage d'une importance stratégique: la demi-lune. La compagnie a livré un brillant combat et le succès est total.
Le lendemain cette conquête est menacée par une contre-attaque des assiégés. Les gardes françaises, qui ont pris la relève des mousquetaires, débordés, commencent à battre en retraite. Ils font appel à d'Artagnan qui n'hésite pas, malgré la fatigue, à leur venir en aide. Son dévouement lui sera fatal. Il sera la victime d'une faute tactique du duc de Monmouth qui, avec la fougue de la jeunesse, oublie toute prudence. Contre les conseils de son aîné, le jeune duc s'engage à découvert pour gagner au plus vite la demi-lune. Obligés de le suivre, les mousquetaires s'engagent à sa suite. Bilan de cette téméraire et tragique tactique: soixante mousquetaires tués et leur capitaine, d'Artagnan, étendu, mort, au milieu de ses hommes.

Les rescapés ramènent son corps au camp au péril de leur vie et pleurent leur chef bien-aimé.
Le roi écrit à la reine: "Madame, j'ai perdu d'Artagnan, en qui j'avais la plus grande confiance et qui m'était bon à tout."
Notre gascon est mort en héros, fidèle en cela à sa légende. Mais où repose-t-il, mystère ?

Faut-il que sa bravoure ait marqué les esprits pour que la ville de Maestricht, assiégée et conquise, lui élève une statue.
Désormais Lupiac, son village natal où trône, sur la place, sa fière statue équestre, est relié à Maestricht par une route, la route d'Artagnan. Elle sera bientôt fréquentée par de nombreux touristes français et étrangers, passionnés par la légende du mousquetaire.

On n'est pas près d'oublier d'Artagnan, notre fier héros, qui honore pour toujours notre Gascogne.

Château de Castelmore
Statue de d'Artagnan à Lupiac