Qu'avait en commun le plus
célèbre de nos cadets de Gascogne, d'Artagnan, avec le portrait
du brillant mousquetaire de Dumas ? Avait-il quelque trait de cet autre
gascon, Cyrano, si jaloux de son panache et qui chantait si bien la "verte
douceur" de son pays ?
Sans doute le vrai d'Artagnan
avait, comme tous les cadets gascons, goût d'aventure et soif de
gloire; le récit de sa vie nous convaincra qu'il n'a rien à
envier au héros littéraire.
La vérité historique
Charles
de Batz, né au château de Castelmore, à Lupiac, entre
1610 et 1615, a quitté très jeune son village natal pour
aller chercher à Paris gloire et fortune. C'était là,
près du roi et de sa cour, que les pauvres nobliaux, écartés
de l'héritage familial par la loi inique du "tout à
l'ainé", avaient quelque chance de rencontrer l'une et l'autre.
Le patronyme paternel de notre cadet - de Batz - ne lui paraissant pas
suffisant pour ouvrir les portes, il choisit celui de sa mère -
Françoise de Montesquiou d'Artagnan - d'une notoriété
plus affirmée.
Nanti de cet emprunt et sans doute de quelques recommandations, notre
cadet arrive à Paris. Il n'y est pas tout à fait dépaysé
: les Gascons sont partout et ont tissé un important réseau
de relations. Parmi les plus célèbres on peut citer le duc
de Roquelaure et Antoine de Grammont, tous deux futurs maréchaux
de France, et François de Monlezun, seigneur de Besmaux, avec qui
il se liera d'amitié.
Notre héros a d'abord fait partie du régiment des Gardes
françaises dont le rôle consistait à veiller sur la
sécurité du roi. Remarqué par le cardinal Mazarin
et donc en même temps par la régente Anne d'Autriche, il
deviendra "une créature" de son éminence. "Une
créature" , le mot n'a rien de péjoratif, il signifie
un homme en qui le ministre savait qu'il pouvait avoir une totale confiance,
à qui il pouvait confier des secrets d'État, des missions
délicates, des ordres confidentiels à porter aux chefs des
armées.
Ces fonctions projettent déjà honneur et gloire sur d'Artagnan.
C'est ainsi que, durant toute la guerre d'Espagne, il fera la navette
entre l'armée et le cardinal, tel un agent de renseignement. Son
rôle sera déterminant et il s'en acquittera avec beaucoup
d'intelligence et de dévouement. Lorsque la fronde éclate,
en 1648, d'Artagnan reste fidèle à la reine et à
son ministre. Nombre de ses compagnons ont suivi les insurgés,
mais lui et son ami Besmaux sont restés d'une fidèlité
inébranlable. Lorsque Mazarin est contraint à l'exil, en
Allemagne, ils seront, avec d'autres, les messagers qui relieront Mazarin
à la France, en bravant tous les dangers. Quand le cardinal tentera
son retour, on retrouvera nos deux compagnons parmi ses partisans qui
complotent à Paris. Et le cardinal ne sera pas ingrat: il écrit
au maréchal de Grammont pour solliciter, avec l'accord de la reine,
"une lieutenance aux gardes pour d'Artagnan qui l'a bien servi".
En 1653, Mazarin rentre triomphalement à Paris. Il est accueilli
par le tout jeune roi Louis XIV et notre cadet peut alors espérer
un avenir très prometteur. Ses espoirs ne seront pas déçus.
Après la confiance de Mazarin, d'Artagnan gagnera celle du roi,
qu'il conservera toute sa vie. A travers ses différentes charges,
il servira le souverain dans ses déplacements, dans son grand voyage
à travers la France, dans les nombreuses guerres, dans les missions
hautement délicates. Il aura ses entrées à la cour
avant même de porter le titre de Comte. Il fréquentera les
salons littéraires du Marais qui n'étaient accessibles qu'à
l'élite de la société, il se liera d'amitié
avec Le Tellier, Fouquet, Mme de Sévigné.
Son
mariage
Son appartenance à
cette société-là se concrétisera par son mariage,
vers l'âge de quarante ans,avec une riche veuve Anne Charlotte de
Chancely dont il se séparera au bout de six ans et dont il aura
deux fils. Quant à sa vie amoureuse, faut-il encore s'en référer
à la tirade de Cyrano de Bergerac sur les cadets de gascogne "
qui font cocus tous les jaloux" ? On ne prête qu"aux riches
et Courtis de Sandras, comme Dumas plus tard, donnent beaucoup d'importance
à ses aventures amoureuses et à ses démêlés
avec les maris trompés. Le comte d'Aligny, qui a servi sous les
ordres de d'Artagnan, s'indigne du portrait qu'en font ces deux écrivains.
Il considère comme un outrage de prêter des aventures vulgaires
à un "homme d'une grande importance" pour lequel il avait
une profonde vénération. On sait toutefois que nos fiers
mousquetaires dans leurs magnifiques uniformes d'azur aux croix d'argent
fleurdelisées, montant de superbes chevaux blancs suscitaient l'admiration
du peuple parisien... et des jolies femmes. Même l'intrépide
Grande Mademoiselle était intimidée par d'Artagnan. Et madame
de Sévigné, dans ses lettres parle de lui avec une grande
déférence.
Mousquetaire du roi
Quel fabuleux destin pour
un cadet de Gascogne !
En récompense de sa fidèlité il détiendra
de multiples charges honorifiques, par exemple celle de capitaine de la
volière royale. Mais c'est à la guerre que d'Artagnan acquerra
sa notoriété. Il suit Louis XIV à la guerre, combat
dans l'armée de Turenne avant d'être appelé par Mazarin
pour prendre la charge de sous-lieutenant de la première compagnie
de Mousquetaires. Désormais il est l'homme de confiance du roi
qui va lui confier deux missions aussi délicates que dangereuses:
La premièr est, l'arrestation de Fouquet, l'homme le plus puissant
du royaume, qui avait de nombreux partisans. Fouquet était soupçonné
de s'être enrichi au détriment des finances de l'État,
et, trop riche, il faisait de l'ombre au roi. Avec Colbert, Louis XIV
a tout prévu pour l'éliminer. D'Artagnan doit s'exécuter,
mais il se serait bien passé de cette mission: il a du respect
et même de l'amitié pour celui qu'il doit arrêter.
Il s'acquittera cependant de sa délicate tâche avec intelligence
et humanité à l'égard du prisonnier, car il sera
aussi son geolier pendant quatre longues années au donjon de Vincennes,
puis à la Bastille avant son procès. Il le conduira enfin
et l'installera dans l'austère forteresse de Pignerol où
il finira sa vie.
Quelques dix ans plus tard, c'est un "pays", un cadet de Gascogne
comme lui, qu'il sera chargé d'escorter jusqu'à cette même
forteresse: le fiancé de mademoiselle de Montpensier, le comte
de Lauzun, qui a, dit-on, mérité par son insolence la disgrâce
du roi.
Entre ces épisodes, d'Artagnan reprend sa vie de mousquetaire.
Il s'est vu attribuer la charge suprême de lieutenant de la Compagnie,
au grand dam de Colbert, et c'est sans doute à partir de cette
date que d'Artagnan porte le titre de comte.
Mais notre gascon a-t-il jamais revu son château de Castelmore ?
C'est très probable. Au cours du long voyage d'un an à travers
la France que fit Louis XIV (et sa cour) pour aller épouser l'infante
d'Espagne à Saint-Jean-de-Luz, le cortège s'arrêta
à Vic-Fezensac et y passa la nuit. Si près du logis familial,
d'Artagnan a bien dû chevaucher jusqu'à Lupiac pour rendre
visite à son frère aîné Paul, ses parents étant
déjà décédés. Peut-être a-t-il
mesuré à cette occasion, l'ascension extraordinaire du petit
cadet de Gascogne ? Ce petit cadet qui va partager la gloire du roi lors
de son fastueux mariage. Car les Mousquetaires, revêtus de casaques
neuves avaient fière allure auprès de leur souverain. Ils
suscitèrent l'admiration de la population et aussi de la délégation
espagnole dont l'austérité faisait ressortir la pompe royale.
Mais la gloire, d'Artagnan
la trouvera surtout sur les champs de bataille. Dans un premier temps
il participe à la guerre contre les Anglais, en soutien aux Provinces
Unies, nos alliées. Avec ses mousquetaires, il fait preuve d'une
bravoure extraordinaire et leur retour en France est triomphal.
Plus tard, il sera de toutes les guerres de Louis XIV. En 1667-1668, c'est
la guerre de "dévolution": au nom de son épouse
Marie-Thérèse, fille de Philippe IV, le roi prétend
avoir des droits sur les provinces espagnoles. D'Artagnan participe avec
le roi à la conquête de la Franche-Comté, possession
espagnole et le traité d'Aix-la-Chapelle met fin à cette
guerre (1668).
Quatre ans plus tard, la France déclare la guerre à la Hollande.
Celle-ci sera fatale à d'Artagnan.
Mais le début des hostilités n'a pas concerné notre
héros car cette même année le roi l'a désigné
comme gouverneur de Lille. Ce ne sera pas la tâche la plus aisée
de notre mousquetaire qui préfère être à la
tête de ses troupes.
"DArtagnan
jouissait de la même autorité que les gouverneurs de province.
Ces fonctions le conduisaient notamment à assurer le service de
la place, à donner le mot dordre chaque jour, à faire
des rondes pour vérifier lexactitude du service des postes
de garde, à autoriser les partis à lever les contributions,
à présider le conseil de guerre qui jugeait les délits
commis par les soldats et déterminait la nature des châtiments
DArtagnan avait une tâche particulièrement ardue. Il
se trouvait, en effet, dans une ville où les Français nétaient
alors pas appréciés."
(Stéphane Beaumont )
A son grand soulagement
sans doute, DArtagnan est relevé de ses fonctions de gouverneur
en décembre 1672. Peu de temps après, il reprend le chemin
de la guerre auprès du roi et de sa compagnie qui a bien besoin
de retrouver son capitaine-lieutenant. Cest à Maastricht
que se déroule les hostilités, une des places fortifiées
les plus puissantes des Pays Bas. Dans ce siège, les Anglais sont
alliés à la France, et sont commandés par le duc
de Monmouth.
.
Le siège de Maestricht
Le siège de Maestricht
commença en juin 1673.
Après sept jours d'un duel d'artillerie, les Français, estimant
les destructions suffisantes, décident de porter l'assaut. Les
mousquetaires, avec à leur tête, d'Artagnan, s'emparent d'un
ouvrage d'une importance stratégique: la demi-lune. La compagnie
a livré un brillant combat et le succès est total.
Le lendemain cette conquête est menacée par une contre-attaque
des assiégés. Les gardes françaises, qui ont pris
la relève des mousquetaires, débordés, commencent
à battre en retraite. Ils font appel à d'Artagnan qui n'hésite
pas, malgré la fatigue, à leur venir en aide. Son dévouement
lui sera fatal. Il sera la victime d'une faute tactique du duc de Monmouth
qui, avec la fougue de la jeunesse, oublie toute prudence. Contre les
conseils de son aîné, le jeune duc s'engage à découvert
pour gagner au plus vite la demi-lune. Obligés de le suivre, les
mousquetaires s'engagent à sa suite. Bilan de cette téméraire
et tragique tactique: soixante mousquetaires tués et leur capitaine,
d'Artagnan, étendu, mort, au milieu de ses hommes.
Les rescapés ramènent
son corps au camp au péril de leur vie et pleurent leur chef bien-aimé.
Le roi écrit à
la reine: "Madame, j'ai perdu d'Artagnan, en qui j'avais la plus
grande confiance et qui m'était bon à tout."
Notre gascon est mort en héros, fidèle en cela à
sa légende. Mais où repose-t-il, mystère ?
Faut-il que sa bravoure
ait marqué les esprits pour que la ville de Maestricht, assiégée
et conquise, lui élève une statue.
Désormais Lupiac, son village natal où trône, sur
la place, sa fière statue équestre, est relié à
Maestricht par une route, la route d'Artagnan. Elle sera bientôt
fréquentée par de nombreux touristes français et
étrangers, passionnés par la légende du mousquetaire.
On n'est pas près
d'oublier d'Artagnan, notre fier héros, qui honore pour toujours
notre Gascogne.
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Château de Castelmore
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Statue de d'Artagnan à Lupiac
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